Le loup et le lion by Lépée Denis

Le loup et le lion by Lépée Denis

Auteur:Lépée, Denis [Lépée, Denis]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman, Historique
Éditeur: Plon
Publié: 2015-02-25T23:00:00+00:00


III

Le centaure de gloire

45

Paris, hôtel de Guise, 25 avril 1588

Le soleil du matin éclairait d’une lumière tiède les bosquets et le dallage du jardin de l’hôtel de Guise, donnant un éclat cru au vert des feuillages et au blanc éblouissant de la pierre. Je pensais que cette lumière ressemblait à celle d’Italie, ou du moins à l’idée que je m’en faisais. Assis au pied d’un grand vase sur les marches descendant sur les plantations, je tendis le bras et j’arrêtai net le jeune page qui dévalait le perron, manquant de le faire tomber dans sa course.

— Montre-moi cela, commandai-je en indiquant du menton le paquet de feuilles qu’il tenait sous son bras.

Il se raidit, tendant le menton.

— Service de monsieur le duc, je n’ai pas licence de découvrir ce document avant…

La bourrade que je lui adressai interrompit sa phrase et faillit le faire chuter en arrière.

— Donne-le-moi, animal, ou je te brise en deux, et tu ne seras plus d’aucune utilité pour ton service. Et ne me regarde pas comme cela, lui lançai-je.

Le jeune page s’exécuta et recula de quelques pas.

Je l’observais à la dérobée tout en dépliant la première des pages soigneusement pliées en trois. L’air triste du jeune garçon me faisait un peu regretter d’avoir été dur avec lui, mais ma mauvaise humeur puisait sa source dans le sentiment de surplace accumulé pendant ces vingt jours passés dans l’attente. Après l’intensité de l’attentat manqué avaient suivi des heures et des journées que le contraste avec l’excitation de l’action rendait encore plus vides.

Sans doute aussi, sans que je me l’avoue si clairement, le fait de n’être associé que partiellement aux réunions stratégiques organisées à la nuit tombée autour du duc renforçait-il mon sentiment de frustration, tout comme la distance qui se réinstallait parfois entre Marie et moi, comme si à chaque instant où il me semblait que j’avais le droit de rêver – tout absurde qu’apparaisse mon rêve – devaient immanquablement succéder des jours sans la voir ou pouvoir lui parler. Pourtant, à chaque occasion où nous nous retrouvions un moment pour évoquer mes promenades dans Paris et mes rencontres, je ne pouvais m’empêcher de retomber dans le doux sentiment qu’elle avait laissé naître le soir où nous nous étions croisés à la sortie du bureau de son père.

Je m’assis papier en main à côté du perron, sur la pierre où le maréchal-ferrant s’installait pour faire son office.

Le ton était solennel mais sans emphase, dur mais aiguisé. Un réquisitoire s’enchaînait, dénonçant la pratique du pouvoir royal et, sans citer le nom du souverain, stigmatisait l’évolution du pouvoir sous son règne. La charge la plus violente était portée à travers les mignons. Sur Épernon, elle tournait à l’appel au meurtre.

Tout en me demandant qui avait pu écrire cela, cherchant en vain dans mes maigres souvenirs de lecteur d’où venait ce sentiment d’avoir déjà lu ces expressions cinglantes ou des assemblages de mots similaires, je repliai le libelle et le glissai dans ma ceinture. Puis, relevant les yeux, j’eus la surprise de voir devant moi la silhouette maigrichonne du petit page, le front buté, immobile et silencieux.



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